Par Julien
Changement d’heure, changement de cap ? Pas du tout. A-t-on seulement un cap d’ailleurs ? Pas vraiment. Des intuitions sans doute, un horizon aussi, ligne vague, au loin, qui se déplace avec nous autres promeneurs. Mais changement d’heure, c’est certain. Moins une heure. Le soleil est donc plus rond, et plus franc à la mi-journée. Belle aubaine, alors que le printemps, encore timide, se meurt de nous sauter à la goule (il n’y a qu’à voir l’expression des couleurs des fleurs, et même des bourgeons).
De toute façon, les changements d’heure, nous sommes habitués. Quand nous sommes arrivés à Badaro, le quartier était à peu près préservé d’un fléau universel au Liban : les coupures de courant. Mieux qu’une institution (toujours susceptible d’être renversée par la populace), une nécessité (qui essaie encore de contester les lois de la physique ?) au pays du Cèdre. On s’y fait. Au fond, ce n’est rien. Suffit de composer.
Pourtant, lors de notre installation, quelle fierté n’a pas été la nôtre à l’idée de pouvoir nous passer d’un tel dérèglement urbain ? C’est que, au départ, nous pouvions passer nos journées sans avoir à veiller à ce que l’eau chaude reste chaude, et le frigo reste froid. Nous appuyions sur un bouton à n’importe quelle heure, et la lumière, sans l’ombre d’une hésitation, était. Chez nous, c’était un peu le paradis du tungstène, avec un véritable geyser de génie électrique, tout ça pour une orgie de confort à vous faire pâlir tous les copains du coin. Un peu plus, et on frôlait le sublime du palais de Baabda, la constance du Grand Sérail, sans parler de l’éternel vitalité de Gemmayzé.
Nous avions même conçu une explication idoine pour accompagner en douceur ce surnaturel délicieux. Proximité de l’hôpital militaire, c’était aussi simple que ça. On n’opère pas une rage de dent ou une prostate sauvage comme on peut s’arrêter de couper du bois. CQFD. Seulement, pas de bol. Descartes avait beau jeu de nous parler des évidences, « claires et distinctes », seules pistes susceptibles de nous frayer un chemin vers une quelconque vérité. A l’évidence, nous, on s’était planté. Les coupures ont repris, aussitôt achevées les réparations du générateur dudit hôpital voisin.
Les coupures ont un cycle intéressant, puisqu’il vous accompagne au quotidien et se déplace sur la semaine. Demain, par exemple, ce sera 6 heures – 9 heures du matin. Autrement dit : il faut que je repasse ma chemise ce soir, et que je fasse chauffer de l’eau pendant la nuit. Ensuite, logiquement, de trois heures en trois heures, la coupure avance dans la journée. 9-12, 12-15, 15-18, puis, si tout va bien, 6-9. « Non : c’est l’inverse ! », me dit Elodie, puisque « ça remonte dans le temps au fil des jours ». Sauf que : parfois, ça peut être moins. Et parfois, il n’y en a pas. La question étant alors : sur quel créneau va-ton reprendre notre partie de cache-cache ?
Comment font-ils, les habitants de Beyrouth ? Il y a beaucoup de soleil, dans la région, mais les évidences nous ennuient, on vient juste de le constater. Alors les panneaux solaires n’existent pas. La solution est divine, bruyante, coûteuse, polluante, et socialement discriminante : le générateur ! Payez un abonnement mensuel pour y avoir droit, puis payer votre consommation (faut bien payer le fioul). Attention : 5 ampères maximum (en d’autres termes, une lampe de bureau, et le frigo). Cela dit, le générateur est plus que fidèle : signez, et vous ne pouvez plus résilier votre contrat.
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