vendredi 29 mai 2009

Impressions de Syrie

Par Julien

La leçon, pour jargonner un peu à l’ancienne, des voyages hors des frontières (limites qui se reconstituent sans cesse, où que l’on se trouve) des us et coutumes, c’est la révélation de ce qu’on pressentait parfois. Ou de ce qu’on ressentait. Notre excursion syrienne m’a tout appris de ce que je savais déjà. Il y a quelque chose comme ça. Beyrouth, le Liban, la région, c’est comme si je les connaissais mieux maintenant. Connaissance, non pas au sens un peu revêche, un tantinet scolaire, d’un cumul érudit, mais d’un retour réfléchi de sensations.

A quel moment, d’ailleurs, peut-on dire que l’on comprend, un temps soit peu, un territoire nouveau ? A tout moment, après tout. Mais jamais complètement. « Ah ? », me direz-vous, et vous avez raison. Ce qui n’éclaire en rien notre propos, nous sommes d’accord.

Alors pour un premier jet, un billet bref, une esquisse sans trop d’esquive, comment dire l’indicible ? Inénarrable périple, par-delà une frontière sensible et tatillonne (que de paperasses !), par-dessus les montagnes (de moins en moins de neiges éternelles), jusqu’à la capitale syrienne, Damas, puis le désert, Palmyre, centre de nulle part, étendue entre les monceaux ocre,s les plis de rocaille, les sables volants. Ancienne folie de la reine Zénobie, sur la frange d’une oasis, verte comme il se doit, avec ses palmeraies adjacentes, ses fruits généreux, ses eaux vivantes.

En partant en Syrie, honnêtement, on s’attendait à tout. Là, c’est l’expérience libanaise qui parle, au moins autant qu’un postulat philosophique fondamental : ne jamais perdre le sens de l’étonnement. Mais on ne s’attendait pas, certainement pas, à ressentir « l’effet Liban » avec un tel écho. Et quelle rondeur ! Les tics de la région. Les accents locaux. Tout : nous avons tout reconnu. Comme si on s’habituait. On est un peu chez nous. Et pourtant, Liban et Syrie ne se ressemblent pas tout à fait.

Aller en Syrie depuis Beyrouth, c’est où ? Descendre vers l’avenue Charles Hélou. Gare routière en béton, fleuron des années 1960, époque du triomphe de la modernité automobile, quasiment pompidolienne en son temps, et plutôt grise 40 ans plus tard. Attendre que les taxis vous sautent dessus (compter deux secondes seulement), puis choisir. A vous de voir pour le standard. Voiture américaine, ça ira (point trop n’en faut, pour une première fois, et notre homme arrangera toutes les formalités à la frontière).

C’est ensuite, et ensuite seulement que l’on se rend compte de ce qu’on sait déjà. De ce qu’on a appris. Du chemin que l’on a accompli. Exemple. Au Liban, les bagnoles foncent, klaxonnent, et puent. On l’a déjà vu dans un de nos « chouei chouei » billets. Arrivés à la frontière, situé sur la crête des monts de l’Anti-Liban, passés les lacets à n’en plus finir (nids de poule, chaussée glissante, ponts cassés par les bombardements israéliens de 2006 à contourner, etc.), les check-points en veux-tu en voilà, traversées les étapes obligatoires (files d’attentes, visas, tampons, bref examen médical pour éviter d’importer la grippe porcine), nous avons basculé dans un ailleurs à la fois familier, et franchement bizarre.

Moins de bagnoles. Des rues larges, entretenues. Des pancartes partout, à l’effigie, majoritairement, du grand patron de la maison (moustache de rigueur, yeux clairs, costard), fils de son père (le Lion, disait-on), et père de la nation. Ici, on roule droit. Pas de doute là-dessus. L’armée est partout (casernes, par ci, casernes par là), qui vous le rappelle en passant. Rien à voir avec Beyrouth. L’armée, au Liban, protège les Libanais contre les Libanais. En Syrie, c’est un peu autre chose. Je ne détaille pas plus longtemps. L’autoritarisme, vous avez compris, ça vous dessine un certain type de paysage, ça vous impose un certain type de rapport à la loi.

En Syrie, une constatation, enfin. L’œil nous a tout dit, lors de notre excursion, de notre passage définitif du côté du Moyen-Orient. Beyrouth regarde encore de tous les côtés : Méditerranée, Atlantique, Amériques, Emirats arabes unis, Asie… La Syrie n’a plus exactement les mêmes tropismes, ni les mêmes mouvements d’hésitations. Moins de pas chassés, moins de tergiversations. Architectures (ommeyade, abbasside, ottomane,…), lumières (chaudes, jaunes, brûlantes), populations (Syriens, Bédouins, Saoudiens, Irakiens, etc), langue (arabe pour tout le monde, et c’est tant mieux : ce fut là l’occasion de s’immerger pleinement dans le dialecte de la région) forment un ensemble dont se dégage une cohérence nouvelle. Précisément, plus vous vous enfoncez dans le désert, plus le Liban vous semble loin, et plus Beyrouth vous paraît proche (intérieurement, par contrepoint, bien entendu). Je veux dire : le bordel et l'inattendu ont du bon. Les filles en jupes ou en maillot de bain, les terrasses où il est encore possible de boire une bière fraîche, les engueulades entre automobilistes qui ne finissent pas dans les larmes, mais dans des effusions de... "habibi !"

A défaut de pouvoir vous le démontrer (pas de géométrie dans ce blog !), il va falloir essayer de vous le montrer. Si je pars dans de grandes plages de divagations, on ne va pas s’en sortir. Un billet de blog, il faut que ça swingue. Alors des photos ne devraient pas tarder.

vendredi 15 mai 2009

Fais-le malin, mon coco, la pluie pourrait revenir !

Par Julien

Matin matinal, matin auroral. Matin à la fois laborieux et oisif. Et matin doux, sous le bleu de bleu du ciel. Matin malin, matin éternel. Qui attend quoi ? Le lendemain ? Jamais. Erreur. L’instant est là. Sous vos pieds, le tapis du devenir. Le devenir dans le là. Il faut savoir sentir, solliciter l'invisible, et le monde resplendit. Le temps, transfiguré en un tour de passe-passe.

Malgré les bouchons (7h30 : les vieux jouent au trictrac, les bagnoles fanfaronnent du klaxon), Beyrouth n’arrête pas de rire. C'est toujours comme ça. Il y a eu tellement de larmes, ici. Le chauffeur du bus me donne du « habibi », en me demandant si je sais où je vais. Est-ce je sais, moi ? Est-ce qu’il sait, lui ? « Malech ! » Pas de problème, mon biquet. On y va ! Hamra ! Ras-Beyrouth ! Le quartier même où la mosaïque beyrouthine vous saute aux yeux. La jeune femme, assise en face de moi, n’arrête pas de se marrer non plus. Pourquoi ? l fait chaud, pourtant. Pas la force de bouger. Tout le monde a chaud, ça se voit, chacun tire sur son bout de fenêtre pour faire venir de l’air (et du dioxyde de carbone, meilleur ami du promeneur). De l’air ! Roule, roule ! C'est si bon. La porte coulissante reste entrouverte pendant que le minivan fonce.

A midi, hier, c’était pire, c’était mieux, comme on veut. Le cagnard cognait sec. Détour par la pâtisserie, malgré tout. Pas folle la guêpe. On risquait d’être en rade de langues de chats. Détour nécessaire, envie insurmontable., que voulez-vous ? Dans l’échoppe, comme toujours, c’est quelques degrés en plus, et sans un filet d'air. Patience. Il faut savoir souffrir. « Noss kilo howda, wa noss kilo howda, min fadlak ». Il faut ce qu’il faut. Un demi kilo de chaque, s’il vous plaît. Ils nous prennent pour des fous, de fiffés gourmands, mais on y revient toujours, infatigables.

Qui je croise, après manger, dans cette journée sans dessus dessous ? Georgette. Un rire sur patte. « Marhaba, Georgette ». Elle éclate de rire. « Kiffic ? » Elle éclate de rire. Mais qu’est-ce que j’ai dit ? Elle est pas croyable, celle-là. Bon, ben je continue. J’arrive au boulot, et je retrouve une ribambelle d’amis attablés. C’est l’heure du café. Allez. On y va. On s’assoit un peu. De toute façon, depuis trois jours, je bosse comme un demeuré. Deux minutes assis ne vont quand même pas m’esquinter.

Et là, le croyez-vous, qu’est-ce que j’apprends ? La météo annonce de la pluie pour demain. « Chou ? » « Quoi ? » Et moi qui, hier matin encore, pensais que, conformément au sabir de nos amis beyrouthins, les prochaines pluies, nous ne les verrions qu’en octobre… En attendant, notre décision est prise, quelque soit le temps (d’ici là…). Le week-end de l’ascension, ce sera la Syrie. Damas et Palmyre.

jeudi 7 mai 2009

Rencontre avec Georges, notre premier locataire

Par Elodie

Après plus de deux semaines dans les odeurs acres de peinture brûlée au chalumeau, puis de peinture fraîche, nous avons retrouvé le calme de notre appartement. Un brin remis à neuf et désormais aussi sec qu’un sauna. Hier soir pourtant, un cri a déchiré cette joie paisible. Le mien bien sûr ! Je venais de faire connaissance avec notre premier locataire dans la salle de bain : Georges, un grand gaillard d’au moins cinq centimètres de long, ses antennes pointées vers mon pied. Georges, Blatta orientalis de son état, de l’ordre des Blattoptères, au sein du super-ordre des Orthoperoidae, dans l’infra-classe Neoptera, qui fait partie de la sous-classe Pterygota dans la classe Insecta bien sûr, du sous-embranchement Hexapoda au sein de l’embranchement Arthropoda, qui fait partie comme de bien entendu du règne animal. Georges donc, dont vous connaissez maintenant la classification phylogénétique exacte.

Pour faire plus simple, notre hôte est un cafard, cancrelat ou coquerelle pour nos amis d’Outre-Atlantique. Et Georges possède bien des qualités : il court vite, très vite, et il vole même ! Une tatane à la main, nous (j’avais appelé du renfort) avons fini par parvenir à nous débarrasser de ce spécimen quelque peu coriace. Mais Georges a bien marqué la fin de notre petite tranquillité, car il n’arrive jamais seul comme nous l’ont confirmé nos voisins, armés jusqu’aux dents pour faire face à de telles invasions : la bataille va bientôt commencer ! Mais rassurez-vous, nous avons mis les vivres en lieu sûr (après avoir dévalisé le rayon bocaux en verre de mon petit bric-à-brac préféré) et nous allons chercher de ce pas des munitions. Ce soir, la bombe (anti-cafards bien sûr) à la main, je m’en irai combattre les cousins de Georges dans les interstices des bouches d’aération.

mardi 5 mai 2009

Le mot "blog" ne rime-t-il pas avec périodicité intenable ?

Par Julien

Passage éclair sur Chouei Chouei Beyrouth, le blog. La période est agitée, florissante, foisonnante, et in(dé)finiment susceptibles de variations. Beaucoup de travail, pas mal de sorties, bien des découvertes. Je lance ce billet sur l'océan sans bien savoir s'il va atterrir quelque part. On n'a pas eu le temps de s'y remettre sérieusement.

Une chose est sûre. Le printemps bat son plein et le ciel est capable de tout. Plein soleil, cagnard hurlant, ou passages nuageux avec décharges d'humidité. Sans compter sur la fin du Khamsin (le vent du désert). Le toit du Liban change tout le temps. Pas plus tard qu'hier soir, ciel orange et laiteux, vent poussiéreux. Impossible de voir la ligne de crête du Mont Liban. Horizon bouché, vitres salopées. Et ce matin, Beyrouth est lumineuse. L'air est doux. Le soleil prépare son retour sur scène.

En attendant de pouvoir reprendre nos narrations aléatoires, nous continuons d'arpenter des kilomètres de rues brouillonnes. Sans lassitude aucune. A suivre...