dimanche 26 avril 2009

Il va peut-être falloir se mettre à l'eau ferrugineuse

Par Julien

Chapelet du derviche (ou « Masbath el-Darwich ») et tiramisu, sur une rivière de Prosecco. Table sauvage et méditerranéenne, en somme. Légumes bigarrés, et vin pétillant de Vénétie. Agneau quasi pascal. Spiritualité déviante, hétérodoxie goûtée. Le tout, s’il vous plaît, servi après une longue promenade en front de mer, à flâner autour de Raouché (non, vous ne rêvez pas, Raouché tire son nom du mot français « rocher »), sous un soleil franc, adouci par le vent. La boucle d’une semaine bien laborieuse est bouclée. Sublime et sublimée.

Pour le reste, le monde entier reprend ses droits. Le quotidien est ce qu’il est : l’horizon le plus commun. Pas forcément indépassable, mais les faits, quand ils sont là, sont là. Je dis ça parce que, au-delà du chantier devenu qu’est notre appartement (nous entrons dans notre troisième semaine de travaux, et je me demande si nous n’allons pas finir par adopter les deux ouvriers syriens qui travaillent à la maison), notre seule cuisine nous rappelle que la vie est encline à osciller entre droits (supposés) et devoirs (hypothétiques).

Nous avons accumulé, au cours des dernières semaines, de quoi remplir un bac entier de récupération de verre. Sous la forme d’un inventaire, ça donne l’équation suivante : 27 bouteilles de 33 cl (bière Almaza, blonde ou ambrée : grosso modo, l’alter ego de la Mythos des Grecs, légère et peu sucrée, à servir impérativement fraîche sous un parasol), trois bouteilles de vin plus une bouteille de Prosecco, une bouteille de vinaigre, et trois verres cassés. Mais là où le bât blesse, c’est que pour recycler les déchets, vous pouvez toujours courir !

Les ordures ne connaissent ni hiérarchie ni raison. La récupération existe, mais le recyclage n’est pas vraiment envisagé. C’est comme le traitement des eaux usées : c’est un vœu pieux. Il y a d’autres priorités (en un certain sens, c’est vrai). Gare au baigneur qui s’imagine jouir des délices d’une plage perdue… Le Liban a pour l’heure d’autres soucis que de nettoyer ce que ses activités peuvent engendrer (« les externalités négatives » du jargon des économistes, c’est typiquement ça). La priorité : repenser l’intervention de l’Etat, certes, puisque ce dernier n’en finit pas d’être bloqué de partout, mais surtout traverser les élections législatives du 7 juin sans heurts (pour faire simple, deux camps s’affrontent : le « 8 mars », contre le « 14 mars »).

Cette situation implique la maxime courante que suit : « au diable le lendemain », ou plus commune, « après moi le déluge ». Quand on ne sait pas ce qui peut se passer demain, on ne s’enquiquine pas à faire le tri entre le plastique des pots de Laban (yaourt nature local) et le carton des couches-culottes. On dépose tout en bas, dans la rue, une société privée ramasse ça deux fois par jour, et on n’en parle plus.

Tout ça pour dire que notre plan de travail, dans la cuisine, ne ressemble plus à grand-chose. Pourtant, il y a depuis peu, dans quelques points précis de Beyrouth, des récupérateurs qui ont été installés pour le verre et le carton. Les mauvaises langues, c’est vrai, disent que ça ne sert à rien, puisqu’au bout de la chaîne, ces déchets rejoignent les détritus du cycle le plus classique qui soit (poubelle domestique – benne à ordures - décharge à l’air libre). La querelle des Anciens et des Modernes n’en finira jamais ! Exemple. Retournons à Raouché, lieu de toute beauté. Au pied des falaises, des parterres de sacs plastiques. Au creux des grottes, des flopées de sacs poubelles.

Ajoutez à cette histoire le fait que nous roulons notre bosse sans bagnole… Au moins, les poubelles, on peut les descendre quand on veut. Avec la chaleur, de toute façon, pas le choix. Mais pour le verre, on a l’air fin, avec notre mauvaise conscience. Quelle idée de s’imaginer que notre bouteille de Château Ksara 2004 va terminer sur les plages de Byblos. Franchement ! Bon, alors tant pis. Il faut être, un minimum, conséquent, quand même toute cette histoire revêt, au fond, toutes les apparences d’une lubie, puisque nos bouteilles finiront… à la mer.

Il va falloir remonter tout ça jusqu’au rond-point de Sodeco. C’est-à-dire : compter 20 minutes de marche le long des bagnoles hurlantes. Au détour du musée national, suivre le long de la rue de Damas jusqu’au deuxième tank, situé devant une immense publicité pour des accessoires de luxe, déployée sur la carcasse d’un immeuble traditionnel détruit pendant la guerre, et en voie de réhabilitation si la Mairie de Paris veut bien tenir ses engagements. Allez, courage ! C’est quand même pas la mer à boire.

samedi 18 avril 2009

Le chantier perpétuel

Par Julien

Depuis des lustres, voire des siècles, et sans doute même depuis l'aube des temps, l'homme s'interroge sur le monde (et, en retour, sur lui-même, innocent sublime et merveilleux pécheur) qui l'entoure en élaborant des comparaisons, des analogies, des rapprochements.

Par exemple : le microcosme est-il à l'image, le symétrique, voire le condensé du macrocosme ? Autrement posée, la question devient : notre appartement, de cure thermale permanente devenue chantier perpétuel, est-il le simple décalque de la ville qui l'accueille en son sein ?

La métaphysique n'a de limites que celles de la langue qui la tapine et du sujet qui s'y adonne. Y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Un ordre dans le désordre ? Une justice dans le déferlement des serpillères et les passages de nuages de poussières ?

L'homme a forgé autant d'outils de réflexion que possible, n'échappant pas aux phénomènes de modes, pour comprendre ce qui ce qui ne se comprend pas comme ça (nous, vous, ils). Physique, ou encore structuralisme, intuitions mathématiques (fractales), plus récemment génie des algorithmes (des moteurs de recherche, tout est bête comme un clic). Et tout est bon pour expliquer, décrire, chercher, trouver. "La bêtise, c'est de conclure", disait Flaubert. Alors on n'en saura jamais rien, et c'est sans doute mieux ainsi.

Pourtant, comment ne pas établir des correspondances ? En observant alternativement "le chantier" (c'est un peu le sobriquet que l'on pourrait employer pour notre délicieux logis, au fronton duquel nous serions bien inspirés d'inscrire : "nul n'entre ici s'il n'est ouvrier"), et Beyrouth (vaste épiderme bardé de pousses bétonnées et autres structures métalliques en attente), je n'ai pas pu m'empêcher d'y penser, et de construire un petit syllogisme qui marche assez bien :

Notre appartement est un bordel perpétuel,
Or nous vivons à Beyrouth,
Donc Beyrouth est par essence un chantier permanent.

Miracle de la région : le sacré et le trivial sont deux inséparables compagnons.

Florilège post-road trip


















Par Julien et Elodie

Avec une semaine de retard (le temps d'un tirage argentique ?), florilège de photos, prises ici et là, dans le sud, la Bekaa, et le Chouf (dans quel ordre ? Mystère...).

mercredi 8 avril 2009

Happening à sens unique

Par Julien

C’est parfois en marchant qu’on apprend comment ça marche. De quoi parle-t-il, encore, avec sa formule, vous dîtes-vous ? De ce qui se pratique, de ce qui se fait, de ce qui se passe, par ici, quand on se promène dans la rue. C’est vrai : après tout, comment rit-on, sous ces latitudes ? Comment se moque-t-on, sous ce ciel bleu ? Ou est l’esprit de sérieux, mam’zelle? Comment départage-t-on l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie ?

Partons d’une scène observée aujourd’hui même. Je rentre ce midi. Il fait beau, vent léger, à peine de quoi s’inquiéter sur le cours des choses, puisque les choses vont et viennent, et c’est ainsi, et c’est comme ça. Dans une rue à sens unique, claquemurée entre de grands immeubles en pierre ocre, une camionnette s’extrait difficilement des voitures alentour. Elle vient de livrer, sans doute, ces bonbonnes d’eau de dix litres que son ventre ouvert laisse apparaître.

A peine sortie de son placard, une petite 206 se plante nez à nez devant la camionnette. Au volant du bolide, une femme, la quarantaine chic et active, cheveux tirés en arrière, les ongles impeccables sur un volant droit et déterminé. Je comprends tout de suite : elle ne bougera pas. Elle rit et, derrière son pare-brise, fait sentir que c’est à elle de passer.

Dans la cabine du camion, trois sympathiques molosses, bien poilus, bien ronds. Ils sont stoïques. Ne bougent pas non plus. Dialogue de sourds. Des bagnoles commencent à débouler. Polyphonie des klaxons. Le camion ne peut pas manœuvrer. Mais la 206 ne veut pas reculer. Elle coupe son moteur. Les trois livreurs se marrent. Ils éteignent le moteur, et sortent des « manouché » - des sandwichs coupe-faim, que les gamins grignotent habituellement comme un pain au chocolat. Ils se mettent à bouffer, tranquillement. Tout le monde rigole, la rue s’arrête.

Une minute plus tard, la 206 a fini par redémarrer. Lentement, la circulation s'est désengorgée. Les klaxons ont fêté ça, croyez-moi, bruyamment. Comme si l'antienne du moment était, non pas "ça s'arrose" comme on dit parfois après un heureux événement, mais plutôt "ça se pouète, les gars !" Beau fragment de poésie urbaine, n'est-ce pas ?

mardi 7 avril 2009

Gâteau au fromage

Par Elodie

Qui a dit qu’il était impossible de faire un gâteau avec du fromage ? Il est parfois utile de confondre des ingrédients… Faute de yaourt, voici la recette - inventée par une cuisinière tête en l’air - d’un gâteau au labné, sorte de version rénovée du traditionnel gâteau au yaourt.

Pour des convives très gourmands :

1 mug de labné

1 mug de laban (yaourt blanc)

2 mugs de farine

2 mugs de maïzena

2 mugs de sucre

1 mug d’huile

6 œufs

2 jus de citrons

Zeste des citrons râpés

1 sachet de levure chimique

Vanille

(Pour les gourmands raisonnables, diviser les quantités par 2.)

Mélanger le labné et le yaourt dans un grand saladier. Ajouter ensuite la farine, la maïzena et la levure, puis les œufs, l’huile, le jus de citron et les arômes (zestes et vanille). Faire rugir quelques minutes votre bâton mixeur magique jusqu’à obtention d’une pâte bien lisse et verser dans plat beurré.

Pour les perfectionnistes : ajouter un peu de sucre vanillé et de jus de citron sur le dessus pour que ça caramélise.

Cuire à four moyen pendant au moins 30 minutes.

Chou ? Vous n’avez pas de labné ?

Ben… Je sais pas moi ! Vous n’avez qu’à venir le chercher au Liban ou expérimenter cette recette avec du mascarpone ou un autre ingrédient du même genre.

Allez, à vos spatules et vive le fromage !

dimanche 5 avril 2009

T'as pas vu le khamsin ?






Par Elodie

Nous l’attendions, impatiemment, depuis des semaines… Le voilà enfin, le vent venu du désert syrien qui marque la fin de l’hiver beyrouthin. Nous scrutions le ciel et pourtant nous ne l’avons pas reconnu tout de suite, le khamsin (Ndlr : prononcer « RrHamsin » pour ceux qui y parviennent). Plus de pluie, une poussière blanche dans l’air qui rend la lumière laiteuse : pas de doute, c’est bien lui. Comme cela nous a soulagés… Mais, il ne faut pas trop de bonnes nouvelles d’un coup. La pluie s’est arrêtée, mais les chutes du Niagara continuent quant à elles à rugir dans notre appartement ! Ils sont vraiment très forts ici, même sans eau ils gardent leurs spa naturels en activité. En attendant, on éponge et on vous laisse découvrir la lumière du khamsin et le parc des pins.

Voyages, voyages !

Par Julien

Si l’homme s’accomplit dans et pour et au travers du travail (je n’énumère pas le nombre de philosophes qui ont pu se saisir de la question), l’homme resplendit littéralement quand à l’horizon se profile la litanie des ponts. Des bons vieux jours fériés du mois de mai.

« As-sabrou miftahou al-faraji ». « La patience est la clé de la délivrance », dit un proverbe arabe. On les attend de pied ferme, ces jours sans raison, ces jours libres, ces jours errants, où rien ne bouge, sinon nous, voyageurs intempestifs. La Bekaa ? Baalbek ? Le Chouf ? Etc. ? Rien n’est fait, rien n’est décidé. Pour le week-end prochain, en tout cas, nous avons réservé une voiture. Road trip en perspective. Sur la route, quoi qu’il arrive.

Au-delà, en élargissant les cercles, on commence à cogiter. Syrie, Jordanie, Turquie, Egypte ? Pour recueillir un maximum d’informations, quoi de mieux que de demander à ceux qui connaissent, à ceux qui vivent ici. Tous les jours, infatigables, nous glanons des informations. Par exemple, prendre les taxis collectifs ou les bus depuis le rond-point de Dora pour aller au nord (Jbeil, alias Byblos, ou Tripoli), ou filer vers le rond-point Cola pour descendre le long de la côte (Saïda alias Sidon, Sour alias Tyr).

Vient toujours un moment où le guide touristique s’avère indispensable, pourtant. On le regrette, parce qu’on se prend à rêver qu’il est possible d’évacuer d’un coup d’un seul tous les clichés, mais c’est quand même pratique. Dura lex, sed lex. Nous sommes donc partis, hier, à la recherche d’un guide quelconque. Nous avions déjà remarqué qu’une librairie connue à Beyrouth boudait les guides sur la Syrie (était-ce pour bouter symboliquement et définitivement un voisin envahissant hors du territoire ?). Nous avons alors opté pour une realpolitik terrassante d’efficacité. Le Virgin Megastore, situé à l’angle de la Place des Martyrs, elle-même accolée à une énorme mosquée, à l’église Saint-Georges, et à des vestiges romains (magie de la géographie : toute la complexité régionale est là, sous vos yeux).

Les lois du commerce sont ce qu’elles sont. Vous trouvez là-bas tout ce que vous voulez. Du pire des romans français aux revues chics et chocs. En l’occurrence, un guide sur la Syrie. Par contre là, pas le choix. C’est le Lonely Planet. Pour les connaisseurs, c’est un Routard à la mode anglo-saxonne. Pourquoi pas (de toute façon, on l’a déjà dit, on n’a pas le choix) ?

Allons-y, alors. Au Liban, tous les prix (ou presque) sont en double affichage, puisque deux monnaies ont cours. La livre libanaise (des biftons avec plein de zéros, inflation oblige), ou le dollar américain. Notre guide élu (quelle formule ! rassurez-vous, il s’agit bien d’un livre inoffensif) devait coûter (c’était marqué dessus) 31,50 dollars. A la caisse, on nous en a demandé 25 et des brouettes. Tout va bien, c’est toujours comme ça.