samedi 6 mars 2010

De l'art de vendre de la contre-façon

Par Julien

Soit une boutique, située au coeur du quartier populaire de Furn el-Shebback (traduction littérale qui m'a toujours laissé songeur : "la fenêtre du four"), à l'angle d'une rue incurvée en U. Sur sa devanture, des lumières rouges qui défilent comme sur un char de fête foraine ou le pare-brise customisé d'un tracteur de 36 tonnes. Son matériel Hi-Fi chinois, griffé Sonyx, Panasanic, ou Groundik, rivalise de splendeur avec des photos jaunies de stars locales, entre sépia orientalisant et kitsch à froufrous foisonnants.

Soit un sympathique commerçant, qui soigne méticuleusement ladite devanture, son parquet flottant, et ses relations de voisinage ("le vendeur de Perfecto Pizza fume sur le pas de sa porte, Hawa Chicken laisse sa volaille dorer en public, et monsieur Amaroun surveille ses stocks de "Zeitoun" (l'huile d'olive), l'oeil rivé aux séries télé égyptiennes des années 80). Vous êtes bien à Beyrouth.

Le Liban est une terre de liberté et de contrebande. Au fond, c'est un pays fascinant, fasciné, et intenable, on n'arrête pas de l'écrire sur ce blog. Et qui vient, une fois encore, de se faire épingler pour ses mauvaises habitudes (disons plus franchement pour cause de piratage), comme le racontait hier encore un article paru dans le quotidien l'Orient-Le Jour.

Se promener dans cette boutique de Furn el-Shebback rappelle combien le destin de ce pays est lié à l'import-export, aux échanges de toutes sortes, à la croisée des chemins. On trouve de tout dès lors qu'on cherche de l'accessoire, qui vient de partout de préférence, mais par des voies détournées. Jeux vidéos japonais, disques arabes, ou vraies fausses lunettes italiennes (Gucci, Armani, Versace). Sans oublier : une sélection à la fois bariolée et cosmopolite de productions de l'industrie du cinéma (sans bornes géographiques s'il-vous-plaît). Une simple énumération (aléatoire, selon ce que ma mémoire a pu retenir) permet de se promener sur les écrans du monde entier pour la modique somme de 1000 livres libanaises par DVD (soit 50 centimes d'euros) : films de Jacky Chan doublés en hongrois, multiples apparitions de Vandamme en turc ou en bulgare (au choix), Avatar, de James Cameron, en anglais et en espagnol, Persépolis, de Satrapi (censuré à l'époque de sa sortie au Liban), est disponible en farsi et en anglais, Louis de Funès se retrouve Avare en néerlandais mais Jean Marais, qu'on se rassure, minaude dans la langue de Molière (l'honneur est sauf !).

L'écriture est née à Byblos, prétend une légende (toujours tenace au Liban). Le Liban est une terre d'élection pour les langues et un creuset de formation pour les apprentis traducteurs. Et on se demande pourquoi ? Pour terminer ce billet, plutôt que de dénoncer les méfaits du piratage et les dangers de la contrefaçons, voici précisément une petite scène extraite de L'Avare, de Jean Girault, qui tombe, me semble-t-il, bien à propos. Non ?

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