A quel moment, d’ailleurs, peut-on dire que l’on comprend, un temps soit peu, un territoire nouveau ? A tout moment, après tout. Mais jamais complètement. « Ah ? », me direz-vous, et vous avez raison. Ce qui n’éclaire en rien notre propos, nous sommes d’accord.
Alors pour un premier jet, un billet bref, une esquisse sans trop d’esquive, comment dire l’indicible ? Inénarrable périple, par-delà une frontière sensible et tatillonne (que de paperasses !), par-dessus les montagnes (de moins en moins de neiges éternelles), jusqu’à la capitale syrienne, Damas, puis le désert, Palmyre, centre de nulle part, étendue entre les monceaux ocre,s les plis de rocaille, les sables volants. Ancienne folie de la reine Zénobie, sur la frange d’une oasis, verte comme il se doit, avec ses palmeraies adjacentes, ses fruits généreux, ses eaux vivantes.
En partant en Syrie, honnêtement, on s’attendait à tout. Là, c’est l’expérience libanaise qui parle, au moins autant qu’un postulat philosophique fondamental : ne jamais perdre le sens de l’étonnement. Mais on ne s’attendait pas, certainement pas, à ressentir « l’effet Liban » avec un tel écho. Et quelle rondeur ! Les tics de la région. Les accents locaux. Tout : nous avons tout reconnu. Comme si on s’habituait. On est un peu chez nous. Et pourtant, Liban et Syrie ne se ressemblent pas tout à fait.
Aller en Syrie depuis Beyrouth, c’est où ? Descendre vers l’avenue Charles Hélou. Gare routière en béton, fleuron des années 1960, époque du triomphe de la modernité automobile, quasiment pompidolienne en son temps, et plutôt grise 40 ans plus tard. Attendre que les taxis vous sautent dessus (compter deux secondes seulement), puis choisir. A vous de voir pour le standard. Voiture américaine, ça ira (point trop n’en faut, pour une première fois, et notre homme arrangera toutes les formalités à la frontière).
C’est ensuite, et ensuite seulement que l’on se rend compte de ce qu’on sait déjà. De ce qu’on a appris. Du chemin que l’on a accompli. Exemple. Au Liban, les bagnoles foncent, klaxonnent, et puent. On l’a déjà vu dans un de nos « chouei chouei » billets. Arrivés à la frontière, situé sur la crête des monts de l’Anti-Liban, passés les lacets à n’en plus finir (nids de poule, chaussée glissante, ponts cassés par les bombardements israéliens de 2006 à contourner, etc.), les check-points en veux-tu en voilà, traversées les étapes obligatoires (files d’attentes, visas, tampons, bref examen médical pour éviter d’importer la grippe porcine), nous avons basculé dans un ailleurs à la fois familier, et franchement bizarre.
Moins de bagnoles. Des rues larges, entretenues. Des pancartes partout, à l’effigie, majoritairement, du grand patron de la maison (moustache de rigueur, yeux clairs, costard), fils de son père (le Lion, disait-on), et père de la nation. Ici, on roule droit. Pas de doute là-dessus. L’armée est partout (casernes, par ci, casernes par là), qui vous le rappelle en passant. Rien à voir avec Beyrouth. L’armée, au Liban, protège les Libanais contre les Libanais. En Syrie, c’est un peu autre chose. Je ne détaille pas plus longtemps. L’autoritarisme, vous avez compris, ça vous dessine un certain type de paysage, ça vous impose un certain type de rapport à la loi.
En Syrie, une constatation, enfin. L’œil nous a tout dit, lors de notre excursion, de notre passage définitif du côté du Moyen-Orient. Beyrouth regarde encore de tous les côtés : Méditerranée, Atlantique, Amériques, Emirats arabes unis, Asie… La Syrie n’a plus exactement les mêmes tropismes, ni les mêmes mouvements d’hésitations. Moins de pas chassés, moins de tergiversations. Architectures (ommeyade, abbasside, ottomane,…), lumières (chaudes, jaunes, brûlantes), populations (Syriens, Bédouins, Saoudiens, Irakiens, etc), langue (arabe pour tout le monde, et c’est tant mieux : ce fut là l’occasion de s’immerger pleinement dans le dialecte de la région) forment un ensemble dont se dégage une cohérence nouvelle. Précisément, plus vous vous enfoncez dans le désert, plus le Liban vous semble loin, et plus Beyrouth vous paraît proche (intérieurement, par contrepoint, bien entendu). Je veux dire : le bordel et l'inattendu ont du bon. Les filles en jupes ou en maillot de bain, les terrasses où il est encore possible de boire une bière fraîche, les engueulades entre automobilistes qui ne finissent pas dans les larmes, mais dans des effusions de... "habibi !"
A défaut de pouvoir vous le démontrer (pas de géométrie dans ce blog !), il va falloir essayer de vous le montrer. Si je pars dans de grandes plages de divagations, on ne va pas s’en sortir. Un billet de blog, il faut que ça swingue. Alors des photos ne devraient pas tarder.